Tuesday, 15 November 2016
Du projet Manhattan au changement climatique une brève histoire du communication pro nucléaire
Parmi les nombreux préparatifs qui ont précédé la première explosion atomique de l'histoire, le 16 juillet 1945, figure une curieuse réunion à l'University Club de New York entre le général Leslie R. Groves, directeur du programme nucléaire américain, et un groupe de professionnels des relations publiques rassemblés autour de John W. Hill. L'objectif : créer la communication du projet Manhattan dont l'existence allait bientôt être révélée au public.
Nucléaire et lobbying ont ainsi cheminé ensemble depuis l'origine mais ces relations sont devenues encore plus intimes lorsque l'énergie nucléaire a quitté le secret militaire pour devenir une technologie civile. Cette histoire est indissociable de l'histoire de la filière nucléaire civile.
Le nucléaire, c'est magique !
Au début des années 50, les États-Unis ne détiennent déjà plus le monopole de l'arme atomique : l'URSS a testé sa première bombe A en 1949. La doctrine concernant l'emploi de ces armes n'est pas fixée - en 1951, le général Mac Arthur a été relevé de son commandement en Corée pour avoir voulu employer l'arme atomique contre les troupes communistes - et on entrevoit que l'arsenal nucléaire pourrait emmener l'humanité à sa perte.
C'est pourtant dans ce contexte particulièrement défavorable que le nucléaire va amorcer sa mue. En 1953, devant l'Assemblée Générale des Nations Unies, le président Eisenhower prononce sont fameux discours "Atoms for peace", affirmant que "la plus grande des forces de destruction peut se changer en un grand bienfait pour l'humanité toute entière". Comment peut-on faire une telle affirmation en pleine guerre froide et plus de dix ans avant que le premier électron soit produit par une centrale nucléaire ? Il s'agit en fait d'un retournement classique dans les campagnes de communication, avec une résonance quasi-biblique : "ils forgeront de leurs glaives des socs de charrue, et de leurs lances des faux" (Isaïe 2,4).
Ces accents mystiques ne sont pas rares à l'époque dans le discours et les mises en scène autour du nucléaire, qui reste encore largement mystérieux. C'est même avec une "baguette magique" que le président Eisenhower lance les travaux de la première centrale nucléaire américaine en 1954. Non moins magique, la commission américaine de l'énergie nucléaire promet une électricité tellement bon marché que les compteurs deviendront inutiles ("too cheap to meter"). On peut tout promettre puisque rien n'existe encore...
D'un coup de "baguette magique", Dwight Eisenhower lance les travaux de la première centrale nucléaire des États-Unis le 1er septembre 1954 . |
Quoi de mieux qu'une centrale nucléaire près de chez soi ?
En 1962, General Electrics annonce en grande pompe que la centrale de Oyster Creek serait la première construite sans subvention. Il s'agissait en fait d'un produit d'appel : General Electrics acceptait de perdre de l'argent à Oyster Creek en anticipant les bénéfices de futures ventes. Cette stratégie est un succès et le marché décolle enfin alors que GE, en augmentant progressivement ses prix, parvient à la fois à se positionner en leader et à préserver ses marges.
Après Oyster Creek, la bataille pour convaincre les investisseurs semble gagnée. Le territoire américain commence à se couvrir de centrales nucléaires. Pour les communicants, l'enjeu change : il s'agit désormais de convaincre les habitants d'accepter un centrale nucléaire dans leur voisinage.
C'est à cette époque que naissent les vertus environnementales du nucléaire. Les campagnes menées à ce sujet visent particulièrement les enfants, la bande dessinée est un vecteur privilégié. Par exemple, dans "The battle for survival", comics édité en 1975 par Virginia Electrics and Power et supposé traiter de la lutte contre la pollution, un personnage affirme : "aucune ville ne pourra trouver un voisinage plus propre et plus désirable qu'une centrale nucléaire". Des dizaines d'autres albums reprennent le même message.
La gestion des accidents
Pourtant les dangers de l'énergie nucléaire étaient déjà connus : dès 1966, une fusion partielle du réacteur Fermi I avait fait un temps envisager l'évacuation de Détroit ! Mais l'accident est gardé secret ce qui permet aux communicants de ne pas changer leurs arguments avant 1979 et l'accident de Three Miles Island.
Lors de cet accident qui a conduit à la fusion d'un réacteur, la communication de crise est confiée à l'agence Hill & Knoltown (oui, la même qui avait assuré la publicité du programme Manhattan). Elle trouve une administration mal préparée et des exploitants en plein désarrois. Le premier réflexe est de nier les risques. Metropolitan Edison, l'exploitant de la centrale, affirme n'avoir pas enregistré de hausse de la radioactivité en dehors de la centrale, une affirmation immédiatement démentie par les mesures de l'agence de protection de l'environnement obligeant la compagnie à avouer qu'elle ne savait pas quelles doses avaient été émise.
L'accident marque le triomphe de la langue de bois : le vice-président de Metropolitan Edison s'illustre par exemple en admettant lors d'une conférence de presse qu'un "désassemblage énergétique spontané" du réacteur est possible... et en quittant la salle lorsqu'un journaliste lui demande la différence entre désassemblage énergétique spontané et une explosion.
Résultat : la panique gagne la population, près de la moitié des personnes vivant dans un rayon de 25km autour de la centrale quittent leur domicile créant des scènes d'exode avec des répercussions désastreuses pour l'industrie nucléaire.
Pourtant, les erreurs commises pendant l'accident de Three Miles Island - déni contre l'évidence, ignorance retranché derrière un jargon technique... - ne cesseront de se reproduire.
A la conquête de la France
Après l'accident de Three Miles Island, la filière nucléaire américaine est moribonde. Le centre de gravité de l'industrie se déplace vers l'Europe et singulièrement vers la France qui s'équipe alors au rythme de 6 réacteurs par an.
Si l'industrie nucléaire américaine a été accompagnée dès son origine par les spécialistes des relations publiques, en France elle est marquée par ses origines militaires et l'obsession du secret. Le Commissariat à l’Énergie Atomique qui règne alors en maître sur les applications civiles et militaires du nucléaire ne publie pas ses travaux comme le ferait un institut de recherche ordinaire, par peur de l'espionnage l'écrit est réduit au strict minimum et le secret défense est la règle. Cette culture peut expliquer en partie la gestion catastrophique de l'accident de Tchernobyl avec l'affirmation contre toute évidence que le nuage radioactif s'arrête aux frontières française.
A ce discrédit s'ajoute, dans les années 90, la fin du programme d'équipement français et de la guerre froide, donc le ralentissement des activités civiles et militaires du CEA. Certains voisins de la France s'orientent vers l'abandon de l'énergie nucléaire et les acteurs de la filière française prennent progressivement conscience qu'ils doivent convaincre. Le CEA crée sa première revue en 1995, il se tourne aussi, à son tour, vers la bande dessinée et les publications de jeunesse. Il met également en avant des ses activités plus sympathiques : la recherche médicale ou, grâce à ses moyens de calcul, le séquençage du génome.
La science climatique faisant appel à l'étude des radionucléides, c'est justement dans une de ses activités annexes, que la filière nucléaire a trouvé l'argument de sa relance : puisque l'électricité nucléaire n'est pas émettrice de gaz à effet de serre (au moins au niveau de la centrale), ne pourrait-elle pas être une solution au changement climatique ? soixante-dix ans après, le nucléaire lave toujours aussi vert...
Publié le 5 mars 2014 par Thibault Laconde, dernière mise à jour le 7 mars 2016
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