Wednesday, 9 November 2016

Prolongation des centrales nucléaires regardons la situation en face


La fermeture de Fessenheim, première étape du retrait de la majorité des réacteurs nucléaires en France
Fin février, la ministre de l'environnement, Ségolène Royal s'est dites prête à prolonger de 10 ans la durée de vie des centrales nucléaires françaises. Celles-ci conçues à l'origine pour durer 30 ans et déjà prolongées de 10 ans dans les années 2000 pourraient donc fonctionner jusqu'à leur cinquantième anniversaire. Quelques jours auparavant, Jean Bernard Levy, le PDG d'EDF, était allé plus loin en évoquant même un prolongement jusqu'à 60 ans.
Comme on pouvait s'y attendre, cette annonce a été suivie d'un débat sur lequel je ne reviens pas, j'en ai déjà dit l'essentiel ailleurs.

Maintenant que la poussière commence à retomber, si nous en profitions pour prendre un peu de recul ?


Le sujet ce n'est pas le nucléaire, c'est l'avenir de l'électricité française


La discussion sur l'allongement de la durée de vie des centrales est souvent confondue avec un débat pour ou contre le nucléaire. C'est une erreur : on peut très bien vouloir fermer les anciens réacteurs pour en ouvrir de nouveaux, ou bien défendre simultanément la prolongation des centrales nucléaires et le rééquilibrage du mix électrique français - c'est du moins la position du gouvernement.
Cette confusion conduit aux empoignades habituelles dès que l'on parle de nucléaire et occulte le vrai problème : le système électrique français est en fin de cycle et personne ne semble se préoccuper de ce qui viendra après.

En 1974, avec le plan Messmer, la France s'est lancée résolument dans l'énergie nucléaire. Dans les années 80, des dizaines de réacteurs ont été raccordés au réseau : le nucléaire, qui représentait un quart de notre mix électrique en 1980, a bondi jusqu'à 75% en moins d'une décennie. S'équiper aussi vite comportait un écueil qui aurait pu être prévu dès cette époque : les centrales nucléaire françaises vont toutes arriver en fin de vie simultanément.
C'est exactement là que nous en sommes : sans prolongation, 34 réacteurs sur 58 devront avoir fermé en 2025, soit plus de la moitié de la puissance installée... Nous nous trouvons face à un véritable mur !

Fermer les centrales nucléaires françaises à 40 ans = retirer la moitié de la puissance disponible avant 2025

Que peut-on faire ? Quelques calculs de coin de table...


Prolonger la durée de vie des centrales ne ferait évidemment que reculer l'échéance mais peut-on l'éviter ? "Impossible n'est pas français" alors on va essayer de se passer de ce mot, même si ça demandera quelques efforts...

D'abord j'en entend, au fond, qui disent qu'on peut très bien remplacer le nucléaire par des renouvelables et que, la preuve, c'est que les allemands sont en train de le faire.
C'est vrai pour l'Allemagne mais en France nous ne sommes pas sur les mêmes ordres de grandeurs. Pour vous en convaincre comparons la "sortie du nucléaire" allemande à l’arrêt des centrales françaises après 40 ans :

La "sortie du nucléaire" allemande est une transition lente comparée au retrait des centrales françaises

La transition énergétique  allemande consiste à retirer 21.5GW de nucléaire entre 2000 et 2022 dont moins d'un gigawatt pendant les 10 première années. Si nous prenions aujourd'hui la décision de ne pas prolonger nos centrales nucléaires, nous devrions retirer 57.1GW en 22 ans dont 31.6 pendant les 10 premières années.
Il faudrait donc faire, entre 2016 et 2038, plus du double de ce que les allemands sont en train de faire entre 2000 et 2022, et surtout il faudrait démarrer trente fois plus vite qu'eux...

A ce stade, j'ai déjà très envie d'écrire "impossible". Mais continuons...

Réfléchissons sur les 10 prochaines années. Pour commencer, admettons que nous parvenions à diminuer de 10% notre consommation d'électricité pendant cette période (alors qu'elle a stagné pendant la décennie précédente), nous économiserions environ 50TWh. Imaginons de plus que nous réduisions à zéro nos exportations d'électricité, soit une économie de 60TWh supplémentaires. Ces 110TWh représentent à peu près la production de 15GW de centrales nucléaires (avec un facteur de charge de 80%).
Il nous resterait donc encore 15GW de nouvelles capacités à construire avant 2025, cela peut représenter au choix :
  • Une dizaine d'EPR,
  • Deux ou trois nouvelles grosses centrales à gaz ou à charbon par an (25 tranches de 600MW),
  • Une multiplication par 5 en 10 ans du parc éolien français (soit l'installation de 24000 éoliennes terrestres de 2MW avec une facteur de charge de 25% en négligeant les questions d'intermittence).
L'option EPR peut être écartée d'emblée : vu l'expérience de Flamanville, jamais nous ne parviendrons à faire sortir de terre un réacteur par an entre aujourd'hui et 2025. Les deux autres (ou plus vraisemblablement un mix des deux : gaz/renouvelables) ne sont pas totalement irréalistes techniquement mais représenteraient un des projets les plus ambitieux jamais conduit en France.


La question n'est plus "Allons-nous prolonger nos centrales nucléaires ?"


La perspective peut sembler enthousiasmante mais elle ne serait pas indolore pour le contribuable et l'abonné. Et de toute façon, aucune des conditions qui nous permettraient d'aborder sereinement une telle transformation ne sont réunies :
  • Du coté des conditions politiques : une transition énergétique demande une forte impulsion. De plus comme une transition énergétique dure des décennies et se déroule généralement sur plusieurs alternances, s'il n'y a pas de consensus au sein de la population et entre les principales formations politiques, il est impossible de la mener à bien.
  • Conditions économiques : renouveler un mix électrique coûte cher, pour y parvenir il faut disposer d'excédents ou être en mesure de s'endetter. Ni l’État ni les grands acteurs de l'énergie en France ne semblent en mesure de financer un tel projet. Au contraire, EDF compte sur une prolongation comptable (la capacité d'amortir ses centrales sur un temps plus long) pour se renflouer.
  • Conditions technologiques : quelle que soit l'orientation choisie, la France n'a plus de savoir-faire : Areva (paix à son âme) et EDF sont incapables de terminer un réacteur, l'activité centrale électrique d'Alstom a été vendue à l'étranger et malgré quelques belles entreprises intermédiaires c'est le vide qui domine du coté des nouvelles énergies.
C'est pour ces raisons que les centrales nucléaires vont probablement être prolongées de 10 ans : pas parce qu'il n'y a pas d'alternative ou parce que le nucléaire est la meilleure solution mais parce que 20 ans d'imprévoyance de nos responsables économiques et politiques ont rendu la prolongation du nucléaire inévitable.
La situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement était prévisible. Pour y faire face, y compris pour renouveler le parc nucléaire français si cela avait été l'option retenue, il aurait fallu des décisions d'investissement dans les années 2000, au moment où nos voisins européens se mettaient en mouvement et où la durée de vie des centrales était prolongée de 30 à 40 ans...


... Mais "Comment éviter que ça se reproduise dans 10 ans ?"


Ce qui importe maintenant c'est d'éviter de se retrouver dans la même situation en 2025 avec des centrales qui approchent de 50 ans et aucun autre plan que de les prolonger jusqu'à 60. Ce petit jeu ne peut pas durer éternellement...
C'est le bon moment : le feuilleton de Fessenheim va sans doute faire de l'énergie un thème des campagne présidentielles et législatives en 2017, le vainqueur aura la légitimité nécessaire pour lancer de grands chantiers et si, comme c'est très probable, les réacteurs français sont prolongés jusqu'à 50 ans, il aura 10 ans devant lui pour le mener à bien.
Reste à savoir s'il se trouvera dans la classe politique françaises des personnes à la hauteur du défi.


Publié le 7 mars 2016 par Thibault Laconde
Illustration : By Florival fr (Own work) [CC BY-SA 3.0 or GFDL], via Wikimedia Commons


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